Saisine du Défenseur des Droits sur la coopération low cost en cancérologie
27 mars 2013
Mise en danger de la vie d’autrui : le SNPI CFE-CGC s’adresse au Défenseur des Droits pour défendre la qualité des soins assurés aux patients.
Les pratiques avancées doivent se faire après une véritable formation, validée par un diplôme de master 2 qui certifie les compétences, dans le cadre d’un métier statutaire.
Par courrier du 20 mars 2013, le SNPI a dénoncé auprès du Défenseur des droits, M. Dominique Baudis, les dérives dangereuses du protocole de coopération en cancérologie de l’ARS Ile de France, validé dans le cadre de l’article 51 de la loi Bachelot HPST du 21 juillet 2009, qui autorise les « coopérations entre professionnels de santé », pour effectuer la mise en place, à titre dérogatoire, de transferts d’actes ou d’activités de soins qui ne figurent pas dans notre décret d’actes.
Le 28 décembre 2012, l’Agence Régionale de Santé ARS de l’Ile de France a publié un arrêté validant un protocole de « Consultation infirmière de suivi des patients traités par anticancéreux oraux à domicile, délégation médicale d’activité de prescription » qui autorise en particulier la « Prescription de certains médicaments à but symptomatique pour traiter les effets indésirables des traitements anticancéreux : antiémétiques ; anxiolytiques ; antibiotiques de la classe des cyclines, anti-diarrhéiques, topiques cutanés » ainsi que la « Décision de renouvellement de la chimiothérapie orale », par une infirmière, moyennant une « formation théorique de 45 heures », validée par une simple « attestation de suivi de la formation » !
Le 4 mars 2013, le Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC a déposé un recours gracieux auprès du Directeur Général de l’ARS IDF, Claude Evin, auprès de la Ministre de la Santé Marisol Touraine, et auprès du Président de la Haute Autorité de Santé Jean-Luc Harousseau. Sans réponse à ce jour.
Nous souhaitons vous saisir du fait des conséquences sanitaires et juridiques de ce protocole qui entraine une mise en danger délibérée de la vie d’autrui, car il y a là :
– une violation manifestement délibérée de cette obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la règlementation définissant les compétences propres des différents professionnels de santé,
– une exposition directe d’autrui, avec une « perte de chances » pour un patient traité non par un médecin oncologue formé en une dizaine d’années, mais par une infirmière formée en trois ans ayant assisté à une formation de 45 heures.
A titre d’exemples, la Cour de cassation a considéré que les obligations particulières de prudence ou de sécurité peuvent aussi bien être des recommandations de bonnes pratiques édictées par arrêté en matière de stimulation ovarienne (Crim., 29 juin 2010, pourvoi n° 09-81.661, Bull. crim. 2010, n° 120), que les règles prévues par l’article 12 du décret n° 2002-194 du 11 février 2002, qui impose au chirurgien l’assistance d’infirmiers titulaires d’un diplôme d’État ou en cours de formation (Crim., 18 mai 2010, pourvoi n° 09-83.032).
Ce protocole de cancérologie s’adresse par définition à des personnes dont le pronostic vital est engagé. Avec un tel protocole dérogatoire, qui sera responsable en cas d’erreur dommageable pour le patient, voire de faute :
– L’ARS qui habilite ces professionnels pour un protocole de coopération ?
– La HAS qui aura validé le protocole ?
– L’établissement de santé qui en sera le bénéficiaire ?
– Le médecin qui aura délégué sa tâche ?
– L’infirmière qui pratiquera un exercice sous couvert d’une "coopération" dérogatoire aux actes autorisés ?
Dans de nombreux pays européens, des infirmières praticiennes peuvent disposer de telles compétences après deux années d’études supplémentaires validées par un Master. Toutes les études scientifiques ont prouvées l’intérêt de ce métier intermédiaire entre l’infirmière à Bac +3 et le médecin à bac +9 ou +12. L’exemple a été donné par les USA dans les années 1960, et il y a aujourd’hui 158.348 « infirmières praticiennes » et 59.242 « infirmières cliniciennes spécialisées », toutes titulaires d’un Master. En Europe, de l’Irlande à la Finlande, ces infirmières diplômées d’un Master peuvent prescrire des médicaments et assurer le suivi des patients chroniques.
Mais dans ce protocole de l’ARS île de France, la seule ambition est de gagner du temps médical, avec une formation plus que symbolique (pages 9 et 10) :
– une « formation théorique de 45 heures », validée par une simple « attestation de suivi de la formation » !
– une formation pratique de 20 heures, consistant à « avoir participé à des consultations médicales avec deux à trois oncologues médicaux (soit entre 20-25 malades vus) », avant de réaliser « 10 consultations supervisées par un médecin avec prescriptions de traitements des effets indésirables des anticancéreux et d’examens (biologiques, radiologiques). »
Véritable manipulation des textes officiels sur les actes et compétences des infirmières, ce "protocole de coopération" entre individus, est une brèche grande ouverte dans un dispositif jusque là destiné à garantir la sécurité des patients : formation initiale basée sur un programme officiel fixé par arrêté, évaluation des compétences acquises par le moyen d’un examen, et attribution d’un diplôme d’Etat habilitant à un exercice règlementé et protégé, au nom de la santé publique et de la sécurité des patients.
Avec 50 ans de recul, les pays anglo-saxons estiment nécessaires deux années universitaires supplémentaires pour valider ces compétences, mais pour l’ARS d’ile de France, avec 45 heures de présence, une infirmières est jugée légalement apte à prescrire cinq types de médicaments ! Si l’on reste dans cette logique, alors cela revient à estimer qu’en une année une infirmière serait apte prescrire tous les médicaments, ou même à remplacer un médecin ? Si 45 heures de présence pour prescrire ces médicaments, ce n’est pas dangereux pour les patients, comment justifier qu’il faille encore neuf années laborieuses pour former un médecin ? Pour faire face à la démographie médicale, les autorités préparent elles des soins low-cost dans le cadre d’un système de santé à deux vitesses ?
Avec ce protocole, ce sont des compétences personnelles qui seront attribuées à des infirmières particulières pour faire des actes à la place des médecins. Il y aura des infirmières autorisées à faire... et des infirmières non autorisées dans la même unité d’hospitalisation ! Qui s’y retrouvera ? Le patient sera informé du protocole, mais ensuite le patient ne saura plus qui peut faire quoi dans une même unité de soins.
Pire, ce protocole est proposé par un établissement de l’AP-HP, mais l’ARS d’ile de France l’a validé pour tout « lieu d’exercice de l’oncologue : établissement de santé, cabinets médicaux,…. » ! On ne peut accepter de valider des acquis par une formation locale au rabais, un examen entre soi, ou une attestation de présence sur une chaise.
S’il faut élargir les compétences infirmières :
– soit c’est juste rajouter un acte technique, et il faut alors le rajouter au décret d’acte, introduire ce nouvel apprentissage officiellement dans la formation initiale et le valider par le diplôme d’État
– soit c’est une nouvelle compétence, avec une prescription médicale limitée, sur le modèle de la sage-femme, et il faut deux années universitaires supplémentaires pour valider ces compétences, dans le cadre d’un métier intermédiaire validé par un Master, dans un cadre statutaire clair, sur le modèle de l’IADE.
Dans l’attente de votre réponse, veuillez agréer, Monsieur, l’expression de notre respectueuse considération.
Thierry AMOUROUX, Secrétaire Général du SNPI CFE-CGC
– L’arrêté et le protocole de coopération autorisé par l’ARS d’ile de France sont en ligne sur leur site
http://www.iledefrance.paps.sante.fr/Les-protocoles-autorises-en-Il.142052.0.html
– Cancérologie low-cost : 45h de formation pour prescrire 5 types de médicaments : http://www.syndicat-infirmier.com/Cancerologie-low-cost-45h-de.html
– Le protocole dénoncé lors du HCPP Haut Conseil des Professions Paramédicales : http://www.syndicat-infirmier.com/HCPP-Haut-Conseil-des-Professions.html
Ce protocole contesté fait déjà l’objet :
– de recours gracieux du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC devant l’ ARS, le ministère et la Haute Autorité de Santé HAS (4 mars 2013) http://www.syndicat-infirmier.com/Cancerologie-low-cost-45h-de.html
– d’une mission parlementaire de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, sous la coprésidence de Catherine GENISSON et Alain MILON (26 mars 2013) http://www.syndicat-infirmier.com/Cancerologie-low-cost-le.html
– d’une saisine du Haut Conseil de la Santé Publique par le Conseil de l’Ordre des Infirmiers d’île de France, car contraire aux règles de bonnes pratiques (22 avril 2013) http://www.syndicat-infirmier.com/L-ordre-condamne-la-cancerologie.html
– d’une intersyndicale, qui doit être reçue par le Cabinet de la Ministre mi juin (24 avril 2013) http://www.syndicat-infirmier.com/Intersyndicale-CFE-CGC-FO-SNICS.html
– d’une condamnation du Haut Conseil des Professions Paramédicales qui demande son retrait http://www.syndicat-infirmier.com/Le-HCPP-condamne-a-son-tour-la.html
Dans le domaine de la santé, le Défenseur des droits est chargé de défendre les droits et les libertés des particuliers ou professionnels de santé dans le cadre de leurs relations avec les services publics. Les litiges peuvent concerner :
– les droits de patients : l’information, l’accès aux soins ou au dossier médical, les voies de recours… ;
– la sécurité des soins : les accidents médicaux, les infections liées aux soins ;
– la sécurité des personnes : la maltraitance, la violence, l’emprise mentale, la médecine alternative… ;
– la protection des personnes vulnérables : les enfants, les personnes âgées, les personnes atteintes de troubles mentaux, les personnes handicapées, les détenus… ;
– la déontologie des professionnels de santé : le secret médical, la continuité des soins… ;
– la bioéthique : la fin de vie, les dons d’organes, la recherche biomédicale…
Le SNPI CFE-CGC représente les infirmières salariées (cliniques, secteur privé non lucratif, secteur public, santé au travail, etc.). Son Secrétaire Général siège au :
– HCPP Haut Conseil des Professions Paramédicales,
– CSFPH Conseil Supérieur de la Fonction Publique Hospitalière,
– ONEM Observatoire National des Emplois et Métiers de la FPH